vendredi 13 décembre 2013

La cassave du Nord, quel avenir ?

Par Louicius Micius Eugene


La cassave est un produit de substitution du pain obtenu à partir du manioc. Consommée toute l'année par les petites bourses en Haïti, cette galette est particulièrement prisée par nombre d'Haïtiens le jour de l'an, notamment pour accompagner la traditionnelle soupe au giraumon. Et le Nord du pays a la réputation de produire une cassave très appréciée. A l'atelier de Mombin Lataille, au Cap-Haitien, la production de la cassave est aussi créatrice d'emplois. Pourtant, cette activité se trouve aujourd'hui quelque peu menacée… Visite guidée au coeur de cette activité.
A l'atelier de production de cassaves de Mombin Lataille, situé à la sortie Sud de la ville du Cap-Haitien, tout visiteur est tout de suite accueilli par l'odeur désagréable que dégage le cyanure contenu dans l'eau de manioc. Pourtant, les véhicules empruntant la route nationale #1 peuvent difficilement poursuivre leur trajet sans y faire halte, question de s'approvisionner en cassave.

Galette produite à partir de la farine de manioc, la Cassave représente une alimentation en effet très prisée dans plusieurs régions du pays, et bien entendu dans le Nord. Elle se déguste seule ou avec du beurre, de la confiture, du fromage, du jambon, de la viande grillée ou de la sauce, voire des légumes.  L'atelier de Mombin Lataille fonctionne, depuis 1973. Il produit surtout de la cassave douce, mais également, sur demande, de la cassave ordinaire. Contrairement à la cassave ordinaire, appelée aussi cassave simple ou cassave sel, la cassave douce comprend non seulement de la farine de manioc et du sel mais aussi du sucre, du lait, des épices, de l'extrait de coco et de la pistache, etc. 

Acheteurs et consommateurs de cassave connaissent bien l'atelier de Mombin Lataille. Ils connaissent également la réputation de la cassave du Nord. C'est le cas de Jackson Jean, de la diaspora haïtienne aux Etats-Unis, qui atteste que « depuis 10 ans, je consomme de la cassave du Nord et la partage avec mes amis de la diaspora ». Et cet amateur avéré a déjà permis à ce pain de manioc de voyager en Amérique du Nord, en Europe et en Afrique. Il s'apprête d'ailleurs à démarrer le commerce de ce produit à Miami, notamment à « Little Haïti », pour permettre à ses compatriotes à consommer ce produit du terroir. 


Du manioc à la cassave 

Le processus de production suit une longue étape au cours de laquelle interviennent plusieurs individus. Après l'achat puis le transport de ces tubercules à l'atelier, intervient leur épluchage. Cette activité, quoique peu rentable, permet à quelques femmes d'assurer l'éducation de leurs enfants. Ainsi, Mme Chazilia, qui, depuis son enfance, effectue ce travail, obtient chaque jour, en retour, une quantité assez modeste de manioc, dont elle tire de l'amidon. Ce sous-produit est ensuite revendu aux ménages qui l'utilisent dans le repassage des vêtements, comme de la colle ou pour préparer de la bouillie. 

La deuxième phase consiste à broyer (à la machine) les tubercules de maniocs puis à presser la pâte obtenue après l'avoir mise en sacs. « Pour chaque sac de manioc broyé et pressé, le producteur verse 50 gourdes au propriétaire de l'atelier représenté par le presseur. Celui-ci gagne 30% sur cette opération », explique le jeune Doda Jean-Baptiste, qui travaille à l'atelier depuis cinq ans. Il presse entre 48 à 60 sacs de manioc par semaine.
Une autre équipe intervient au niveau du tri. Il s'agit d'enlever les écorces de manioc restées dans la farine de manioc.  Et, à partir de cette phase interviennent un autre groupe de travailleurs, les « faiseurs » de cassave ou chefs de platine. 

Celle-ci, appelée aussi plaque de fonte, est un objet métallique de forme circulaire, disposée sur un fourneau de quatre pieds. On y répand la farine de manioc sur toute la largeur pour faire cuire la cassave. Les faiseurs de cassave de cet atelier gagnent par jour le prix d'une cassave, soit maintenant 250 gourdes. 

Ce métier comporte cependant des risques pour la santé. En effet, la production de la cassave oblige les fabricateurs à travailler sous une forte chaleur. «En rentrant à la maison, si la pluie nous surprend, c'est dangereux pour notre vie. Pour éviter le pire, nous devons nous réchauffer le plus vite possible », témoigne Gérald, faiseur de cassave de la commune Sainte-Suzanne, une localité voisine. 

La production de la cassave crée, sur place, d'autres emplois : les livreurs de cassave. Il s'agit de jeunes garçons sans profession qui s'activent à délivrer, à longueur de journée, la marchandise aux chauffeurs et aux passagers des véhicules. Sur dix paquets de cassave vendus, ils gagnent une cassave ou l'équivalent en monnaie locale.
Josué Pierre, un vendeur dont c'est la principale activité, explique que «cette opération se réalise avec art. Les chauffeurs autant que les passagers sont souvent pressés, et il me faut une certaine habileté pour pouvoir les convaincre de choisir mon paquet plutôt que celui d'un autre vendeur ». 


Une activité en péril ? 

Mme Adina Estinfort, productrice de cassave depuis 15 ans, soutient que sa famille de 11 personnes vit de la production et de la vente de cassave. Toutefois, souligne-t-elle, « quoique la cassave bénéficie d'une forte demande et d'une grande popularité, des incertitudes planent sur son avenir ».  En effet, depuis environ cinq ans, beaucoup de terrains très fertiles dans la zone de Haut du Cap, destinés à l'agriculture, font désormais l'objet de lotissement pour la construction de logements. C'est pourquoi, Mme Estinfort exhorte le Ministère de l'Agriculture à «encourager la culture du manioc en Haïti, en distribuant gratuitement des plants ».  Par ailleurs, elle explique que « si la cassave, en tant que produit de substitution au pain, devient plus cher que ce dernier, elle n'a plus sa raison d'être ». Depuis quatre ans environ, Mme Estinfort est obligée d'acheter le manioc ailleurs, surtout à Sainte-Suzanne et dans d'autres régions du Nord-Est ainsi que dans le Plateau Central. 

Jeanty Noël, un autre producteur de cassave, explique que les terres loties sont pour la plupart fermées entre quatre murs sans aucune construction à l'intérieur. « Je pense que le gouvernement devrait au moins faire preuve d'une plus grande justice en faveur des plus pauvres », martèle-t-il.  Jeanty se plaint du fait que les producteurs parviennent rarement à satisfaire la forte demande en consommation de la cassave du Nord durant les mois de décembre, janvier, juin, juillet et août. Aujourd'hui, plus d'un s'interrogent sur l'avenir de ce produit original si la situation perdure.















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