lundi 10 octobre 2011

Le Matin, 7 octobre - Conille !

Editorial
Haïti a, enfin, un Premier ministre. Des lueurs d’espoir. L’horizon se dégage. Pour la
reconstruction. Pour les sinistrés du séisme. Mais l’aurore demeure crépusculaire. Rien n’est
définitivement joué. Le futur du gouvernement que va former Garry Conille est déjà très
incertain. Trop d’hypothèques. Trop de quiproquos. Trop de malentendus. La bonne volonté est
là. La compétence aussi, peut-être. Sur le fond, la légitimité constitutionnelle fait défaut. Eppur si
muove ! Malgré les dénégations des uns et des autres, le processus de ratification a tourné autour
d’une certaine illégalité. De manière déconcertante. Nous nous sommes tu, tout au long de ce
processus, sur l’éligibilité de l’aspirant Premier ministre. Justement pour ne pas donner
l’impression de vouloir barrer la route à un Haïtien capable, patriote et dévoué, dans un contexte
d’atonie gouvernementale, de nervosité sociale et de paralysie économique. Nous l’avons,
expressément, fait savoir à Garry Conille. En tête à tête. De même que nous lui avons fait part de
nos réserves d’ordre légal. Sans ambages. De toutes les façons, sachant que nos parlementaires,
dans leur grande majorité, ne votent, désormais, qu’avec leurs tripes, leur ventre, rien qu’au
bénéfice de leurs clans, et dans une disposition d’esprit tout à fait hors la loi, entretenir la
controverse autour de la candidature de M. Conille reviendrait, pour nous, à vouloir remplir le
tonneau des Danaïdes. Exercice de rhétorique futile, s’il en est, quand ce sont des parlementaires
soudards, peu traversés d’éthique républicaine, qui auront finalement le dernier mot. Le mot qui
s’impose en dernier ressort. Et ils l’ont eu, ce dernier mot. Les pieds sur la Constitution. Les
mains tout près du Trésor public. L’oeil sur le butin de guerre. La tête dans leurs poches. L’esprit
déjà à l’affût de nouveaux forfaits.
Maintenant que le choix de Martelly a été entériné par le Parlement, le temps réprouvé des
Anthony Phelps n’est plus. Pas question de se parler par signes. Il y a eu viol contre la loi-mère.
Chacun peut avoir ses petites ambitions personnelles. Politiciennes. Politiques. Citoyennes. C’est
légitime dans toute démocratie. Mais, dans une République, chacun ne peut se forger, à chaque
conjoncture, sa propre constitution au service de ses propres intérêts et de ses ambitions de
pouvoir. Avec les votes, au Sénat, des Joseph Lambert et des Kelly Bastien, Garry Conille va
devoir continuer, malgré lui, ce avec quoi Michel Martelly, candidat, avait promis au pays de
rompre : les compromissions de pouvoir permanentes et antirépublicaines. Une continuité de
l’ordre politique haïtien traditionnel qui fait que les citoyens respectueux de nos lois et
promoteurs de modernité se sentent toujours floués. Du Sartre. Mains sales. Du Balzac. Illusions
perdues.
Le Premier ministre Conille devra gouverner dans la modestie. Il est un canard boiteux qui
dirigera une équipe bancale. La cohésion manquera forcément. Il y a tellement d’intérêts
divergents. Tellement de faiseurs de rois qui, du Palais national au Parlement, tenteront de tirer la
corde de leur côté. Sa légitimité restera défaillante. Suspecte. Luttes acerbes de pouvoir et de
clans en perspective. Le ciment programmatique qui allie harmonieusement les contraires
politiques sera toujours déficitaire.
Il y a de ces mystiques qui ne s’improvisent pas au pouvoir. Deux coteries politiques, l’une
néojeanclaudiste, l’autre néolavalassienne, et qui se vouaient, dans leur version originelle, une
antipathie réciproque et sans bornes, s’allieront et s’entendront difficilement au pouvoir pour
donner des résultats. Introuvable synchronie. Il ne s’agira pas d’une cohabitation assumée et
dictée par les urnes. Ce sera plutôt une coexistence forcée entre deux chapelles qui jouent, l’une,
la carte de la survie au pouvoir par des transactions de toute nature, et l’autre celle d’une
renaissance, par des concessions involontaires, pour sauver un mandat, un agenda. L’agenda
d’une restauration voilée et encore mal articulée. Besoin de rémission, ici. Soif de rédemption,
là.
Difficile de dire, pour le moment, que Garry Conille a été une chance à prendre à n’importe quel
prix. Sa performance, son bilan nous le diront. Nous savons, cependant, que le président Martelly
et le Parlement, malgré de fortes réserves de maints secteurs et une opinion publique dubitative,
lui auront offert la noble opportunité de se faire valoir et de servir son pays à un niveau élevé de
responsabilité. Il est bien équipé, techniquement et intellectuellement, pour réussir. Il lui reste à
se montrer efficace et capable. Empathique et sympathique dans la conduite de la politique de la
nation.
Le pays attend de l’ordre dans les rues. Les parents, du pain pour leurs enfants. Les sans-abri, un
logis. Les investisseurs, de la stabilité. Les chômeurs, du travail. Les patriotes, la fin d’une tutelle
internationale camouflée. Sinon, le Premier ministre ratifié finira comme Jean-Max Bellerive.
Compétent, mais inefficace et objet de dédain. Il faudra, surtout, qu’il tienne à distance
respectable ses accointances internationales. À défaut, il passera comme Michèle D. Pierre-
Louis, éjecté par les jaloux du Palais. Il y a aussi les attentes des couches populaires affamées
auxquelles il faudra satisfaire prioritairement. Se faire sauter, en fusible, comme Jacques
Edouard Alexis, ce sera regrettable pour le pays et pour un jeune technocrate aussi prometteur
que Garry Conille.

Extrait du Journal Lematin du 7 octobre.
Le Matin, 7 octobre - Conille !

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