De la douloureuse importance de Matthew
Après le 12 janvier 2010, Haïti ne pouvait contenir l’affluence de l’aide internationale. Le pays devenait l’orbite autour duquel gravitaient les dons, les grandes cogitations sur le développement, l’humanitaire…Dans son communiqué de presse No. 10/299 de juillet 2010, le conseil d’administration du Fonds monétaire international (FMI) approuve l’annulation de la dette d’Haïti envers le fonds qui se chiffre à 268 millions de dollars. La communauté internationale promettait une enveloppe de 9,9 milliards de dollars, dont 5,3 milliards devant être décaissés au cours des 18 mois partant du mois de mars 2010. Le pays bénéficiait donc d’un package et de promesses qui requéraient un levier, une puissance morale susceptible de garantir et d’assurer une gestion efficace et efficiente de cette aide qui débordait. D’où la Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti (CIRH).
Dans la logique de la gestion de l’aide, telle qu’énoncée dans la présentation de la commission, la CIRH avait aussi pour tâche d’assurer que la mise en application des priorités, plans et projets soit fidèle au Plan national d’action pour le relèvement d’Haïti, et qu’il suive la séquence convenable à une reconstruction pour créer une Haïti meilleure. Aujourd’hui, personne, du moins la grande majorité, n’est au courant du devenir de cette fameuse commission dont on peine encore à voir les résultats et le bilan concret. De surcroît, aucune évaluation du travail de la CIRH n’a été effectuée. Son existence et sa mission sont aujourd’hui scellées dans les chambres fortes des oubliettes. Et aujourd’hui encore, l’État revendique la coordination de l’aide qui s’annonce après Matthew.
L’incapacité de l’État haïtien de pourvoir du strict minimum, de l’eau potable, le grand Sud même après 72 heures révèle qu’après 62 ans, en référence à l’ouragan Hazel en 1954, nous n’avons pas travaillé sur notre capacité de réponse ou mieux encore notre capacité de parer aux catastrophes naturelles. Je martèle, 72 heures après, aucune logistique maritime ou aérienne n’existait pour apporter le strict minimum au grand Sud du pays! considérant l’effondrement du pont « La Digue » à Petit-Goâve. Les autorités locales, prises à la trappe de la concentration économique et politique qui entrave toute mise à profit des municipalités, ne pouvaient que héler le secours de la république de Port-au-Prince, elle-même embourbée dans la préparation du scrutin du 9 octobre et constituant pour son compte un État défaillant. Dans l’incapacité de réaction des collectivités, nos Sudistes étaient seuls face à leur destin, contraints de résister-tant que se peut- aux caprices de la nature, sortie de ses gonds pour mettre à nu nos déséquilibres spatiaux et environnementaux. Qu’avions-nous donc appris du 12 janvier ? Quelle étape a donc été franchie en matière de gestion de risques et de désastres après 1954 et, plus près de nous, après 2010 ? Quid du Fonds de gestion et de développement des collectivités territoriales (FGDCT) créé par la loi du 28 mai 1996 et publié dans Le Moniteur le 2 septembre de la même année ?
Matthew ne se veut pas une de ces occasions pour les vautours de faire leur beurre avec pour prétexte le mal de la République. Loin de là! Matthew nous met face à nos défis réels qui impliquent une vision claire de notre devenir en tant que peuple. C’est l’esquisse d’un tableau sombre de l’inexistence des options de base, la révélation des promesses non tenues de notre démocratie qui a favorisé l’avènement au pouvoir de dirigeants, pour la plupart, inaptes à définir et à implémenter des stratégies de développement. Des dirigeants qui, dans les faits, refusent de comprendre et d’accepter que le pouvoir est une relation évolutive et qui, pour cause, ont annihilé la dynamique relationnelle: État collectivité territoriale. Matthew nous rappelle durement qu’il n’y a jamais eu un projet de société viable, un pacte de gouvernabilité mettant en tandem acteurs politiques et économiques de la société visant des cibles claires sur des dimensions temporelles objectivement définies et capables de générer des résultats au carrefour du social, de l’économique et du politique.
Le 12 janvier 2010 est l’opportunité, oui, l’opportunité ratée de la reconstruction. Une opportunité en ce sens que la disposition mentale du peuple haïtien se joignait à cette volonté de reconstruire. On le voulait. Aussi cruel qu’ait été son passage dans le grand Sud, tant en dégâts matériels qu’en perte en vies humaines, Matthew se veut un rappel. Un rappel du fait que nous ayons fait de la première République nègre un État incapable de s’assumer. Un rappel de la nécessité de suspendre les débats creux tenant du superficiel, du sensationnel et du populisme, un rappel de surseoir sur notre attitude déconcertante à stagner dans la gestion de l’urgence, un rappel que nous sommes en 2016 et que, conséquemment, nos modes de construction anarchiques sont dépassés, un rappel de la nécessité de politiques publiques de territorialisation passant par la mise à profit des municipalités en fonction d’une vision prospective.
La douloureuse importance de Matthew tient du fait qu’il est une invitation. Une invitation à nous regarder en face pour accepter que nous n’avons pas évolué. Une invitation aux impotents à tirer la révérence. Une invitation à l’adoption d’une nouvelle forme de contrat social. Un contrat social qui sera guidé par un pacte de gouvernabilité. Ce pacte de gouvernabilité qu’il n’y a jamais eu depuis 1806
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